PAUL MATHIAS POLAKOVITS (Budapest 1921-Paris 1987), journaliste, Paris. Dessins anciens.
La meilleure image de la personnalité de Mathias Polakovits se trouve dans la préface du catalogue d'exposition Maîtres Français 1550-1800. Dessins de la donation Mathias Polakovits à l'École des Beaux-Arts,publié en 1989. Écrite pas ses amis, elle refait vivre ce collectionneur disparu à soixante-six ans.
Hongrois de naissance, Mathias, tout le monde l'appelait par ce seul prénom, Polakovits de Nemesmiliticj, étudie en Suisse et en Angleterre, où il se lie d'amitié notamment avec le futur Shah d'Iran. Il émigre en 1949 à Paris et, après une courte carrière de chanteur, il se lance dans le journalisme. Il est engagé par Gaston Bonheur en 1954 pour le magazine Paris-Match. Il couvre alors les événements internationaux majeurs de l'époque. Basé deux ans à Londres avant de devenir chef du bureau de New York en 1960, il côtoie les personnalités importantes de ce monde, qui apprécient ce personnage haut en couleurs, beau et charmeur. Il quitte le journalisme en 1969 et ne s'occupe dès lors que sa nouvelle passion : le dessin. Une passion exclusive ; il était « possédé par les démons de la quête, de la découverte, de l'achat, de l'identification » (Raoul Ergmann, 'Le Fruit de la Passion', Connaissance des Arts, avril 1989, p. 112).
Mathias raconte que le « déclencheur » fut un dessin de l'école française du XVIIe siècle que lui avait offert Jackie Kennedy. Ses enquêtes se situent désormais dans le monde du dessin ancien : « collectionner c'est faire un dossier ». Il adorait découvrir, classer et opérer des rapprochements. Il avait également une prédilection pour les feuilles préparatoires à des tableaux. Il suivait à la fois son instinct et les indices qu'il déchiffrait sur les dessins. Collectionner, disait-il, « permet l'aventure et le miracle. Je les attends tous les matins ». Venu tardivement à la passion du dessin, il n'en a pas moins réuni quelques milliers de dessins, académies, croquis et feuilles d'études, de toutes écoles, avant de choisir de centrer sa collection sur l'école française « sous le règne des quatre Louis ».
Grande figure de l'Hôtel Drouot, il adorait acheter, pour rien, avant tout des lots, de petits dessins pour lesquels il trouvait toujours un intérêt. Sa silhouette était reconnaissable dans toutes les salles des ventes européennes et new-yorkaises, toujours au premier rang, ainsi que chez les marchands et dans les marchés aux puces qu'il arpentait l'hiver vêtu de sa houppelande.
« Rien ne lui causait plus plaisir que d'avoir reconnu, dans un lot proposé aux enchères, une feuille de Le Brun ou un croquis de Mola. Il n'avait ni le goût, ni les moyens d'acheter le dessin déjà nanti de son pedigree. Mais, des années durant, ses expéditions à Londres, dans les saisons des ventes, prenaient l'allure de rafles. Trente, quarante dessins tombaient en une semaine dans l'escarcelle tendue. Le retour, alors, tenait du triomphe : quelques historiens choisis étaient conviés à reconnaître la pertinence de l'intuition qui avait décidé des achats » (Ergmann 1989, p. 112). C'est pourquoi on trouve de nombreuses notes à l'intérieur des montages de ses dessins, celles de ses amis historiens de l'art, marchands et collectionneurs. Lui-même annotait ses catalogues de ventes en hongrois.
En 1987, il donne sa collection de dessins français du XVIIe et du XVIIIe siècle à l'École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, soit 3000 dessins. Dès 1987, un comité Polakovits se constitue pour assurer un rôle de conseil et d'orientation auprès de l'ENSBA. Mathias avait demandé qu'une salle soit spécialement aménagée pour sa collection - ce qui a été réalisé aujourd'hui grâce à l'aide de Jean Bonna en 2004 -, que n'y figurent que des dessins, et qu'elle aide à une connaissance plus complète de tous les dessinateurs français. Sa méthode originale pour classifier les dessins devait être maintenue : les dessins non encadrés étaient rangés dans de grandes boîtes noires Solander par séries - sujets, artistes par date de naissance, groupes stylistiques. On remarque dans cette collection, l'originalité des œuvres, un intérêt pour des artistes peu connus, des dessins difficiles d'attribution, et des feuilles problématiques. Les noms de Jacques Callot, Nicolas Poussin, Charles Le Brun, François Boucher côtoient ceux plus méconnus de Jean de Saint-Igny ou Médard Chupin. On y retrouve également son goût du paysage, Pierre Patel, Jean-Baptiste Forest, Pierre Salomon Domenchin de Chavannes, Joseph-Benoît Suvée, Charles Simonneau et des académies masculines, par exemple de Louis de Boulogne ou d'Hubert Robert. L'École des Beaux-Arts a organisé des expositions des dessins de cette donation, Maîtres Français (1550-1800) en 1989 et Paysages dessinés de l'école française du XVIIIe siècle en 2005. Un court-métrage dans lequel ses amis évoquent sa mémoire a été réalisé par l'ENSBA à l'occasion de l'exposition de 1989.
Les dessins des écoles étrangères, principalement de l'école italienne, ont été dispersés dans une vente organisée au profit de la Fondation Rothschild en 1998, mais un grand nombre de feuilles portant sa marque n'y ont pas figuré et dès 1988 sont réapparues dans les ventes publiques et le commerce d'art. De nombreux lots continuent d'être proposés, notamment dans les ventes Sotheby's de New York, Londres et Amsterdam en 1998, 1999 et 2000. Le 30 juin 2018, une vente a dispersé 200 autres dessins de la collection et le 18 décembre de la même année quelques invendus (toujous chez Me Chr. Jorom-Derem). Il est patent que tous les dessins français n'ont pas été remis à l'École des Beaux-Arts.
Sa marque, composée de ses initiales, celles de ses prénoms, ou bien, de son nom et prénom, semble aussi être un clin d'œil au journal pour lequel il a longuement travaillé.
VENTES
1988, 4 mars, Paris, chez Mes J.P. Couturier et R. de Nicolay (expert B. de Bayser). Dessins anciens de la Collection Mathias Polakovits vendus au profit de l'Institut Alain de Rothschild. 259 Lots.
1989, 30 juin, Paris, chez Mes J.P. Couturier et R. de Nicolay (expert B. de Bayser). Dessins anciens provenant de la collection Mathias Polakovits : lot 4 à 48 et un tableau lot 107.
2018, 30 juin, Paris, chez Me Chr. Joron-Derem (expert B. Peronnet). Dessins anciens. Ancienne collection Mathias Polakovits. 152 lots.
BIBLIOGRAPHIE
Princeton 1977 : Eighteenth-Century French Life-drawing. Selection from the Collection of Mathias Polakovits, cat. par J.H. Rubin et D. Levine, Princeton, University Art Museum, Princeton 1977.
I. de Wavrin, 'Souvenirs d'une passion', L'Objet d'art, n° 4, février 1988, p. 96.
N. Coural, 'La collection Polakovits', L'Estampille. L'Objet d'art, n° 224, avril 1989.
N. Coural, 'Mathias Polakovits, Collector of French Drawings', Drawings, vol. XI, n° 4, 1989.
Paris 1989 : Maîtres français 1550-1800. Dessins de la donation Mathias Polakovits à l'École des Beaux-Arts, cat. coord. par N. Coural, Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris 1989.
Tokyo 1992 : Pari kokuritsu bijutsu gakkô shozô Porakovittsu korekushion : Furansu kinsei sobyô ten : Kokuritsu seiyô bijutsukan, Musée d'Art occidental, Tokyo 1992.
Paris-Rouen 2005 : Paysages dessinés de l'école française du XVIIIe siècle dans la donation Mathias Polakovits à l'École des Beaux-Arts, Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, Rouen, Musée des Beaux-Arts, Paris 2005.
Paris 2013 : De Poussin à Fragonard : hommage à Mathias Polakovits, sous le dir. d'E. Brugerolles, Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris 2013.
Date de mise en ligne : mars 2010 ; dernière mise à jour : janvier 2019.