Baron D. VIVANT-DENON (1747-1825), Directeur Général des Musées impériaux, graveur et écrivain, Paris. Estampes et dessins.
Dominique Vivant-Denon, créé baron sous Napoléon, a été le principal amateur français sous la Révolution et au début du XIXe siècle. Il naquit à Givry près Chalon-sur-Saône, de parents aisés, qui le destinaient à la magistrature. Ils l'envoyèrent à Paris en 1766 pour y faire son droit. Mais ses penchants étaient autres, le monde des arts et des lettres l'attirait irrésistiblement. Noël Hallé lui apprit le dessin. Doué de beaucoup d'esprit, il reçut, dans la société, l'accueil le plus flatteur. Le jeune homme devint la coqueluche des boudoirs et le héros d'aventures galantes. Nommé en 1770 gentilhomme ordinaire du roi, il fut chargé de la conservation du cabinet de pierres gravées dont Louis XV avait hérité de Mme de Pompadour. Peu après, la carrière diplomatique l'éloigna de France pendant plusieurs années, d'abord comme attaché d'ambassade à St. Pétersbourg de 1772 à 1774, puis, à partir de 1776, à la cour de Naples pendant huit années, qui furent pour lui des années d'enchantement. C'est lors d'un voyage en Sicile, d'où il rapporta quantité de poteries grecques, que le collectionneur se révéla en lui. En 1788, six ans après son retour en France, il vendit cette collection de vases au roi Louis XVI, afin de se procurer des fonds pour un nouveau voyage en Italie, entrepris cette fois uniquement dans des buts artistiques et d'étude. Après son rappel de Naples en 1782, il s'était fait connaître comme auteur, plus habile que grand, et avait exécuté nombre de gravures ; membre de l'Académie de Peinture en 1787. Pendant son second séjour en Italie, il demeura principalement à Venise, et c'est là qu'il acquit en 1791 l'admirable noyau de sa collection d'estampes. C'était la collection conservée pendant trois générations dans la famille Zanetti et vendue, après la mort du riche banquier de ce nom, par les héritiers, à Denon. Elle avait été commencée par le graveur Antoine Marie Zanetti le vieux (1680-1757), qui acheta un bel œuvre de Lucas de Leyde, l'œuvre extraordinaire de Rembrandt qui avait appartenu au marchand hollandais J. Pz. Zoomer († 1724, voir L.1511), le riche œuvre de Callot dont il parle si avantageusement dans sa lettre à Gaburri en 1721, qui réunit un œuvre admirable de Marc-Antoine, puis celui de George Pencz, et qui rassembla les pièces des graveurs de son école ainsi que les clairs-obscurs, genre dans lequel il excellait lui-même. N'ayant pas d'enfants, son cabinet passa à ses neveux Jérôme et Antoine Marie Zanetti le jeune, le graveur. L'aîné, Jérôme, né en 1713, fut un savant distingué et mourut vers 1782. Le cadet, qui se distingua par ses gravures d'après des tableaux de Venise (1760) et qui aida son oncle dans sa publication sur les antiques (1740-1743), fut bibliothécaire de Saint-Marc, et, littérateur distingué, publia plusieurs ouvrages sur les beaux-arts. Il conserva et augmenta la collection d'estampes formée par son oncle, principalement par des maîtres vénitiens et par des copies faites d'après les pièces les plus rares de Rembrandt. Son fils, le banquier, fut le dernier à conserver cet ensemble précieux, que ses héritiers vendirent à Denon. Ce n'est qu'à la mort de Denon qu'il fut dispersé.
Denon consacra à la gravure la plupart du temps passé en Italie, mais se vit obligé de rentrer en France en 1793. Il y trouva l'ancienne société bouleversée - c'était au fort de la Terreur - et ce ne fut que grâce à l'intervention du peintre David qu'il fut rayé de la liste des émigrés. Il se remit à la gravure et se fit de nouvelles relations. Une d'elles décida de son avenir. Dans le salon de Mme de Beauharnais il avait fait la connaissance du général Bonaparte. Lorsque celui-ci fut revenu à Paris, après le traité de Campo-Formio, et qu'il décida l'expédition d'Egypte, Denon lui parut tout désigné pour être compris parmi les savants destinés à accompagner l'expédition. Ses voyages, son goût, ses connaissances spéciales, son habileté de dessinateur, sa facilité d'écrivain le désignaient bien pour un tel emploi. En Egypte, Denon déployait une singulière activité, bravait tous les dangers pour satisfaire sa curiosité et pour prendre des croquis. Son Voyage dans la haute et basse Egypte (1802), illustré de ses dessins, et ses 150 dessins dans le grand ouvrage : Description de l'Egypte, publié de 1809 à 1813 sous la direction de Jomard, font preuve de son zèle. Revenu en France dès 1800, les regards se portèrent tout naturellement sur lui lors de la réorganisation générale. En 1802 il fut nommé Directeur du Musée central des Arts et, en 1803, Directeur de la Monnaie, des Médailles, institution qui perdit son existence indépendante à la Restauration.
Etant dès lors, à proprement parler, Directeur général des Beaux-Arts, il venait de trouver sa voie. Pareil à un Surintendant des Bâtiments de l'ancien régime, il remplit les mêmes fonctions que le duc d'Antin sous Louis XIV, le marquis de Marigny sous Louis XV et d'Angiviller sous Louis XVI. Toutes les commandes artistiques passaient par ses mains, et la domination du goût Empire lui fut redevable d'un vaillant appui.
Les victoires françaises faisaient du Louvre, en ces années, un dépôt de merveilles tel qu'il n'en a jamais été revu d'aussi riche. Le Musée Napoléon réunit toutes les plus belles œuvres d'art que les vainqueurs avaient pu rapporter des pays subjugués. Denon eut à suivre l'empereur et présidait au choix des trophées. Les années 1808 à 1812 furent les plus actives. L'année 1814 amena la chute : les gouvernements étrangers reprirent leurs trésors d'art, Denon dut céder à leurs instances. Il voyait que son rôle était terminé. Agé de 68 ans, il donna sa démission et rentra dans la vie privée. Alors le collectionneur particulier se ranime avec une passion étonnante. Il consacre entièrement les années qui lui restent à l'enrichissement de ses collections, où les tableaux et les objets d'art, surtout les antiquités classiques, occupèrent une place non moins importante que les estampes. Il prépare l'ouvrage qui devait en reproduire les pièces les plus remarquables ; il grave à l'eau-forte, et il conserve une certaine influence officieuse sur la direction des Beaux-Arts. Sa vieillesse se trouve entourée des curieux flattés d'être reçus 9 Quai Voltaire par le premier collectionneur de l'époque ; seuls les favorisés y étaient admis. Après sa mort, son neveu, fils de sa sœur qui avait épousé un M. Brunet, se montra un digne héritier. Ce neveu avait ajouté à son nom celui de son oncle, s'appelant Brunet-Denon ; il était général de division. Grâce à ses indications, les nombreuses notes que Denon avaient laissées sur ses collections purent être mises à profit pour le grand ouvrage que le collectionneur avait rêvé d'écrire pour perpétuer le souvenir des trésors d'art réunis par lui. Il fut publié par les soins d'Amaury-Duval, en 1829, sous le titre de Monuments des Arts du dessin chez les peuples tant anciens que modernes (4 vol.). Toutes les lithographies, qui rendent scrupuleusement le caractère des objets représentés, avaient été préparées sous la surveillance de Denon même ; les 310 planches renferment notamment quantité de reproductions de ses plus beaux dessins des maîtres anciens.
L'œuvre gravé de Denon se compose de plus de 300 pièces et fut publié en 1872 par A. de la Fizelière. Bien qu'il disposât d'une main très exercée et habile, ses gravures manquent d'accent et de souplesse. Il est à son mieux quand il copie. En 1809 Denon fut un des premiers à mettre en pratique la lithographie nouvellement inventée. Parmi ses portraits peints, les plus connus sont ceux de Prud'hon, de Greuze et de Berthon.
Le collectionneur décédé, on procéda à la vente de ses collections. Un excellent catalogue en fut rédigé en trois volumes (1826), celui des tableaux, dessins et miniatures par Pérignon, celui des monuments antiques et modernes par Dubois (1390 nos), celui des estampes et livres à figures par Duchesne aîné. Le total des vacations s'éleva à 250.000 francs. Le général Brunet-Denon racheta presque un tiers de la vente et à sa propre vente après son décès, le 2 février 1846 et jours suivants, cette partie seule produisit plus de 300.000 francs ; on voit combien les œuvres avaient monté en vingt ans. Pour quelques parties retirées de la vente des estampes par Brunet-Denon, voir ci-dessous. Parmi les tableaux, 224 nos, on remarquait des œuvres importantes de del Sarto, Murillo, Fra Angelico, Backhuyzen, Cuyp, Koning, Ostade, Rembrandt, Ruisdael, Chardin, Watteau (son « Gilles »), Greuze et Gérard. Les pièces passèrent généralement dans les meilleures mains, ainsi que les remarquables antiquités.
Toutes les feuilles de la collection Denon portaient dans le coin du bas, à droite, l'une des estampilles ci-contre [L.779 ou L.780], composées des lettres D.N. avec un crible et une fourmi, allégorie à la patience continuelle de l'amateur qui doit rejeter tout ce qui ne peut être utile. - Voir aussi les L.738 et L.745.
VENTES
I. 1826, 1r mai, Paris. Tableaux, dessins, miniatures. Les dessins figurent sous les numéros 225 à 987. On y remarque : Raphaël, Descente de croix, 3825 fr. (au roi des Pays-Bas, acquis 16.650 fr. à sa vente en 1850 pour le Louvre), et le Désespoir du lévite d'Ephraïm 1500 fr., 43 dessins du Parmesan dont 14 avaient été publiés, gravés, chez Lud. Inig à Bologne, 7300 fr. ; la plus grande partie de cette belle série provenait du Earl of Arundel, on y notait particulièrement une Présentation au temple 1000 fr., Mars ramené près de Vénus 205 fr., Femme portant un vase sur la tête 500 fr. Belle série aussi du Guerchin, plusieurs gravés par Bartolozzi, e. a. Quatre Musiciens 1510 fr., Alb. Dürer, La Trinité, dessin pour le tableau de Vienne, coll. Andreossy, 140 fr. (au général Griois, puis coll. Reiset et Duc d'Aumale), cinq dessins, épisodes de la vie du seigneur 330 fr., et trois feuilles du livre d'études avec les portraits (Casp. Sturm avec l'Hôtel de ville d'Aix-la-Chapelle au verso, un Jeune homme avec l'église de St. Michel à Anvers au fond. et Deux têtes de femme) 415 fr., P. Potter, Un Taureau et quelques vaches dans un paysage 301 fr., Rembrandt, Le Paiement de l'impôt 448 fr., La Mère de Rembrandt endormie 500 fr., Lion au repos 455 fr., Claude Gellée, Paysage avec temple antique 2500 fr., N. Poussin, L'Adoration des Rois 400 fr.
II. 1827, 12 février, Paris. Estampes. Duchesne aîné, le conservateur connu du Département des Estampes de la Bibl. Nationale, avait tenu à honneur de donner à la mémoire de son vieil ami une suprême marque d'intérêt en rédigeant scrupuleusement cette partie du catalogue, paru en 1826. 800 nos, dont nos 604 à 800 pour les livres, principalement des livres d'art, recueils, voyages, monuments, etc.). La collection des estampes était très diverse et très riche, mais nullement représentative des différentes écoles et époques. Nous avons déjà relevé ci-dessus que les plus belles séries provenaient des Zanetti. L'œuvre de Lucas de Leyde, de 238 pièces dont 17 doubles et 37 copies, fut retiré au prix de 3500 fr., et vendu à l'amiable en 1843 par M. Brunet-Denon 5000 fr., l'œuvre de Pencz, auquel ne manquaient que 4 feuilles, 431 fr., l'œuvre de Beham 199 fr. L'œuvre extraordinaire de Callot était relié en 3 vol. et comptait 1574 pièces ; Zanetti l'avait acheté à Paris 1950 fr. et écrivit en 1721 « on dit, ce que je ne puis affirmer, que Callot l'avait formé lui-même pour un M. Gérard, amateur d'estampes et son ami » et que le roi de France et le prince Eugène ne l'avaient pas aussi beau (Raccolta di lettere pittoriche II). Duchesne l'acquit 1000 fr. pour la Bibl. Nat. L'œuvre extraordinaire de Rembrandt, en 3 vol., portait en tête du premier volume une note écrite en hollandais de la main même de J. Pz. Zoomer, le formateur de cet œuvre. Il l'annonce, suivant le catalogue, « complet et renfermant tous les changements et retouches, excellentes épreuves, et telles que, ni lui, ni personne n'en a pu recueillir de semblables avec autant d'argent et toutes les peines qu'il s'est données pendant 50 ans ». Il y avait 428 pièces, dont 394 par Rembrandt lui-même. Quantité sur japon ; des premiers états, presque introuvables, du Rembrandt au manteau (avec la partie non terminée dessinée), de l'Annonciation aux bergers, de la Résurrection de Lazare, de la Pièce de cent florins, de l'Ecce Homo en largeur, et de tous les portraits, exceptés le Clement de Jonge et le Six qui y figuraient en 2e état ; superbes épreuves des paysages. Cet œuvre ne trouva pas preneur à un prix satisfaisant. M. Brunet-Denon le vendit en 1829 à Woodburn (voir L.2584) au prix de 40.000 fr. Il a ensuite été dispersé, principalement dans les collections Wilson, Aylesford, Holford, Buccleuch. L'œuvre admirable de Marc-Antoine (133 pièces, dont 117 par le maître lui-même) avait un pareil sort. Retiré à 15.000 fr., il fut vendu en 1843 par M. Brunet-Denon au marchand Deflorenne, au prix de 18.000 fr., dit-on. Les principaux collectionneurs se partagèrent alors ce riche ensemble, depuis longtemps un objet d'envie ; l'amateur Debois en eut presque la moitié, les amateurs Revil, Roissy et de la Salle eurent d'autres pièces importantes (Cabinet de l'amateur II p. 203). Parmi les clairs-obscurs, de belles feuilles de da Carpi, Nic. da Vicenza, Andreoni, etc. De Dürer il n'y avait que deux gravures sur cuivre, par contre 30 sur bois. Grâce aux liaisons de Denon avec les artistes français et les amateurs de tous les pays, il avait été à même de réunir des œuvres qu'on aurait alors cherché inutilement dans le commerce, tels ceux de Andrieu, Lagrenée, Dehenant, Bizemont. Notons aussi les gravures de Harvey, de Cotman, de Turner, de R. Ford, l'œuvre presque complet de J. de Frey (125 fr.), et, dans le supplément de 66 nos, l'œuvre de de Boissieu, 88 pièces, 479 fr. Il est caractéristique que dans les livres on vendit 20 fr. un exemplaire des Chansons de M. de Laborde avec les estampes de Moreau, 4 vol. maroquin rouge, dorés sur tranche.