F. W. KOENIGS (1881-1941), banquier, Cologne et Haarlem. Dessins.
Franz Koenigs, issu d'une famille d'industriels et de banquiers du Bas-Rhin, naquit à Kierberg près de Cologne. Son père († 1904) était directeur de banque à Cologne (A. Schaaffhausenscher Bankverein), poste que le fils occupa de 1911 à 1914. Avant cette période, il s'était acquis une grande expérience dans les lieux les plus différents : à Munich, courtes études de droit qui ne lui donnaient pas satisfaction, apprentissage dans une usine de filature à Dülken, dans les bureaux de la maison Bunge d'Anvers, deux ans au Comptoir National d'Escompte à Paris (1903 et 1904), puis deux ans à Londres dans la maison Malcolm Brothers (jute de Calcutta). En 1907, départ pour la Roumanie où il devint un des directeurs de l'Astra Romana (pétroles) et en 1911 grand voyage aux Indes anglaises et aux Indes néerlandaises. La banque paternelle de Cologne ayant été incorporée en 1914 à la Diskonto-Gesellschaft, Franz Koenigs devint un des directeurs de la banque Delbrück Schickler & Cie de Berlin où il prit la place de son oncle Felix, mort en 1913, l'amateur de tableaux allemands du XIXe siècle qui avait légué sa collection à la Nationalgalerie de Berlin. En cette année se place aussi son mariage avec Anna, comtesse de Kalckreuth, fille d'un peintre très apprécié. Elevée dans un milieu artistique, elle partageait toujours les goûts de son mari et ses activités de collectionneur mais, comme lui, elle ne vécut pas âgée († 1946). Nouveau déménagement de Berlin à Cologne en 1921, où il fut un des premiers directeurs de la nouvelle banque Delbrück von der Heydt & Cie, fondée en 1919. Mais ce séjour fut de courte durée. Dès 1920 Koenigs avait fondé à Amsterdam, avec des capitaux internationaux, une association commerciale (où la laine jouait un grand rôle) et bancaire, la Rhodius Koenigs Handel-Maatschappij, dont il devint le véritable animateur. En 1922 il se décida à s'installer aux Pays-Bas et choisit une maison au Florapark à Haarlem où il trouva enfin la stabilité domestique. Cette maison spacieuse vit bientôt ses murs se couvrir de tableaux, dont Jérôme Bosch, Rubens et Manet étaient les auteurs préférés, et un agrandissement dut être construit en 1926 pour héberger la collection de dessins qui avait pris son véritable essor depuis que l'amateur avait élu domicile en Hollande. Pendant une douzaine d'années il n'était point d'amateur de dessins, passant par la Hollande, qui ne vint y compléter ses connaissances et il pouvait toujours compter sur un accueil hospitalier. De par sa nature apparenté au caractère hollandais et abhorrant le nazisme, Koenigs demanda sa naturalisation qui lui fut accordée en février 1939. L'année suivante, quittant le poste de directeur de l'association Rhodius Koenigs, il en devint le commissaire délégué ; par un malheureux accident de train il mourut le 6 mai 1941.
Jusqu'à la fin de ses jours il garda cette activité dévorante qui l'avait toujours caractérisé. Dans les affaires, ses grands atouts étaient sa droiture et sa grande mobilité. Tantôt à Londres, tantôt à Madrid, tantôt à Berlin ou à Paris il devançait toujours ses confrères et sut réaliser les combinaisons financières les plus inattendues. Jamais pourtant cette existence remuante ne se reflétait dans son comportement. Il gardait toujours son air calme et sociable, et semait sa conversation de remarques spirituelles et humoristiques. Très tôt se développa chez lui l'intérêt artistique ; ses années parisiennes (1903-1904) lui ouvrirent les yeux pour Toulouse-Lautrec et Degas dont il sut, par la suite, réunir de si belles œuvres. Encore jeune homme, à 25 ans, il acheta ses premiers dessins, deux paysages de Millet, à une exposition chez Obach à Londres. Plus tard se développa sa passion pour les maîtres anciens, surtout Rubens, dont il acquit les premières esquisses à l'huile en 1921, suivies de tant d'autres tableaux, notamment le Bain de Diane en 1925. Premier tableau de Jérôme Bosch en 1923 ; un Christ en croix, petite peinture saisissante de Grünewald, fit sa joie en 1927. Dans les mêmes années sa collection de dessins prit forme ; ce qu'il possédait avant n'était que quelques pièces isolées. Rarement une réunion aussi choisie a été constituée en si peu de temps, une dizaine d'années.
Koenigs était de ces natures heureuses qui vivent en communauté constante avec les grands maîtres du passé. Il partageait leurs préférences, comprenait leurs manières de s'exprimer et recevait leurs confidences. Il était en outre le collectionneur né, dans le meilleur sens du mot. Pour lui, il ne s'agissait pas d'accumuler (la quantité d'œuvres d'art réunie par lui pourrait le faire croire), mais de construire un bel ensemble, digne de ses idôles. L'amour des beaux dessins le tenait toujours en alerte. Comme on lui demandait comment il trouvait moyen de combiner cette chasse intensive avec ses affaires non moins absorbantes, il répondit que sa passion pour les dessins primait toujours et qu'il espérait la garder jusqu'au tombeau. Ce vœu a été exaucé, malgré les difficultés de toutes sortes qui freinèrent ses efforts pendant les dernières années de sa vie. Sa meilleure activité d'amateur se place dans la période 1921-1930. Il était alors le plus fort acheteur sur le marché international et aucun prix, à condition qu'il s'agisse d'une feuille exceptionnelle, ne le faisait reculer. Son œil, son flair, sa rapidité de décision étonnaient tous ceux qui entraient en contact avec lui. La même lucidité d'esprit et l'excellente mémoire qui lui assuraient son succès dans les affaires l'aidaient dans la formation de sa collection. Il n'eut recours à aucun appareil d'études ; il ne possédait point de livres de références ou d'ouvrages à reproductions. Son cerveau formait toutes ses ressources. Cette assurance lui a quelquefois joué de mauvais tours et quelques habiles faussaires ou des marchands, eux-mêmes victimes d'erreurs, lui ont fait avaler quelques pièces attribuées aux plus grands maîtres et qui n'en étaient point. Mais quand on lui signalait ses méprises, il les reconnaissait rondement et arrachait aussitôt les « mauvaises herbes ». Rien de suspect n'est resté dans ses cartons.
La profusion de bonnes feuilles devint vite impressionnante. Qu'on en juge : lorsque la collection fut déposée au Musée Boymans de Rotterdam, à titre de prêt, en 1935, elle renfermait, en dehors des tableaux, 30 dessins indiscutables du Tintoret, 22 de Dürer, 27 de Rubens, 43 de Rembrandt, 18 de Watteau, 45 de Tiepolo, 9 d'Ingres, 20 de Delacroix, 23 de Daumier, 21 de Degas et 23 de Cézanne, dans un ensemble de plus de 2100 feuilles. Quand on considérait ces amas de trésors on recevait l'impression que la fortune sourit souvent aux hommes hardis de bon goût. C'est ainsi que Koenigs put mettre la main en 1923 sur un choix de beaux dessins de la famille ducale de Weimar, dont les deux albums remplis de 505 dessins de Fra Bartolommeo (voir L.2818). Puis en 1925 un album oublié de la collection Savigny, contenant entre autres sept dessins inconnus de Grünewald (l'amateur en cédait cinq au Cabinet de Berlin) ; en 1929 l'achat en bloc de la collection formée pendant une vingtaine d'années par l'excellent connaisseur J. W. Böhler de Lucerne. Bien entendu et en plus, des achats souvent hardis dans toutes les grandes ventes de cette période : Emile Wauters, Bellingham Smith, Bateson, Russell, d'Hendecourt, Marius Paulme, Straus-Negbaur, Czeczowicka, etc. Deux belles publications parurent à Francfort s.l. Mein en 1930-1933, sous la direction de M. J. Friedländer : Meisterzeichnungen aus der Sammlung Franz Koenigs, Haarlem, la première série consacrée aux dessins français du XVIIIe, commentés par C. F. Foerster, la seconde aux dessins vénitiens, présentés par D. von Hadeln. En plus des expositions organisées au Musée Boymans, signalons celle de Paris, à la Bibliothèque Nationale, 20 février - 20 avril 1952.
Malheureusement l'œuvre humaine reste sujette aux vicissitudes. Vint d'abord, vers 1930, la crise financière dont les conséquences restreignirent ses achats pendant plusieurs années, et finalement la guerre. Pour assurer la continuité de son œuvre, le collectionneur avait obtenu en 1935 l'aide d'une banque, la collection servant de gage. Lorsque menaçait l'invasion allemande en 1940, cette banque se préparait à envoyer la collection en Amérique ; alors l'amateur D. G. van Beuningen (L.758) intervint et s'assura toute la collection de dessins, ainsi que la plupart des tableaux de Rubens, au prix d'un million de florins. Quelques semaines plus tard les Allemands allaient sévir en maîtres ; ils exigèrent bientôt que toute la partie allemande leur soit vendue pour ce musée de Linz, fantasmagorie de Hitler jamais réalisée. Echappèrent à cette déportation deux importants dessins qui étaient par hasard à New-York depuis l'exposition de 1939 : un portrait de femme par Dürer (autrefois coll. Eisler) et une Vierge avec l'Enfant de Grünewald. Les Allemands prirent en outre un choix dans les autres écoles : 2 Pisanello, 10 Tintoret, 15 Tiepolo, 5 Rubens, 4 van Dijck, 8 Rembrandt, 6 Watteau, 8 Boucher, 9 Fragonard, pour ne citer que les meilleurs. Il faut reconnaître que les experts convoqués par les Allemands ont su protéger les intérêts hollandais par leurs appréciations et leurs estimations très élevées. Les Allemands ne touchèrent pas à la section des primitifs et romanistes des Pays-Bas, ni aux français du XIXe, ni aux anglais. C'est ainsi qu'un quart de la collection partit, en 1941, en dépôt provisoire à Dresde, d'où elle disparut (dans quel état ?) derrière le rideau de fer russe après la défaite allemande. Mais les trois quarts qui restaient, formant toujours un merveilleux ensemble, gardèrent leur place au Musée Boymans, comme don généreux de l'amateur van Beuningen, de même que la belle série de tableaux et d'esquisses à l'huile de Rubens et les tableaux de Jérôme Bosch ; cet amateur s'est réservé une dizaine de feuilles pour sa collection particulière.