Léon BONNAT (né en 1833), peintre, vit à Paris. Dessins et estampes.
Léon-Joseph-Florentin Bonnat, né à Bayonne, fut élevé à Madrid et, frappé par l'art des grands maîtres espagnols, il y reçut son instruction de peintre dans l'atelier de Madrazo. La mort de son père le rappela en France en 1854. Aidé pendant neuf ans par une pension de sa ville natale, il continua ses études d'abord à Paris sous Léon Cogniet, puis de 1857 à 1860 à Rome. L'école bolonaise exerça aussi une grande influence sur sa manière. Ses premiers tableaux - de cette même année 1857 date son premier envoi au Salon - sont généralement à sujets bibliques et, suivant le goût espagnol, l'élément pathétique et tragique y domine. Son art se perfectionna dans ce genre et atteignit son apogée dans son « Martyre de Saint Denis » qu'il exécuta pour sa part dans la décoration du Panthéon (Salon de 1885). Un voyage en Orient en 1870 lui avait entre-temps donné les sujets de paysages de ces contrées et de scènes turques, mais vers 1875 il s'adonna au portrait et commença cette longue série d'après tant d'illustres contemporains qui l'a rendu si universellement connu. Célèbres entre tous sont restés ses portraits de Thiers, de Hugo, de Puvis de Chavannes, de Dumas, de Ferry et de son maître Cogniet. L'artiste exécuta aussi un certain nombre d'eaux-fortes. La carrière de Bonnat a été des plus brillantes, et les plus grands honneurs lui ont été décernés : légion d'honneur dès 1867, grand croix en 1900, Membre de l'Institut depuis 1881, Directeur de l'Ecole des Beaux-Arts, Président honoraire de la Société des Artistes français.
Bonnat a été, dans le dernier quart du XIXe siècle, le seul artiste qui ait collectionné le dessin sur une grande échelle. Le résultat obtenu est merveilleux. Il ne pouvait pas espérer égaler l'ensemble richissime réuni par son devancier Lawrence à une époque où les dessins abondaient sur le marché, mais grâce à son propre goût et aux conseils d'amis des plus compétents, grâce aussi à ses amples moyens, il a pourtant constitué la plus belle collection particulière de dessins de notre époque. Il n'y a que la collection Heseltine de Londres, formée à la même époque, qui puisse entrer en comparaison. Il faut signaler comme des plus importantes sa série de Dürer, dont il possède 34 dessins, sans compter deux des plus beaux, donnés l'un au Musée de Bayonne, l'autre (le portrait d'Erasme) au Louvre, sa série de plus de 100 Rembrandt (dont 3 donnés en 1896 à l'Ecole des Beaux-Arts et un album de 89 dessins au Louvre en 1919), ses Léonard de Vinci, ses Michel-Ange (dont un donné au Louvre), ses Raphaël, ses 23 Pollajuolo (volés en 1748 à Florence) et ses maîtres de l'école française du XVIIe au XIXe siècle. Dans cette dernière se distinguent ses nombreux Poussin, ses Claude, ses Watteau, ses Prud'hon et Géricault, mais surtout les 20 portraits et une quarantaine de dessins d'Ingres. En 1912, il a donné au Louvre son plus beau dessin d'Ingres, La Famille Stamati, et ce même musée acquit en 1917 au prix de 46.000 fr. le portrait de Paganini, par Ingres, donné par Bonnat pour la vente publique au profit des œuvres de guerre. Il serait impossible de citer ici les autres trésors de cette collection, où presque tous les meilleurs maîtres figurent par d'excellentes œuvres. Bonnat a lui-même raconté dans une lettre au marquis de Chennevières (avril 1887) comment, vers 1875, lui était venue « la charmante et noble manie des dessins » suivant l'expression de Chennevières dans ses Souvenirs IV p. 142 : « J'ai toujours adoré les dessins et passais autrefois mes dimanches au Louvre. Mais c'est M. de la Salle (voir L.1332) qui m'a fait comprendre qu'on pouvait en avoir à soi, chez soi, qu'on pouvait, quand on le voulait, toucher une feuille de papier sur laquelle la main de Michel-Ange s'était appuyée. - Vous savez quelle passion c'est devenu ! - M. de la Salle demeurait dans la même maison que moi, [19] place Vintimille. Il me gâtait beaucoup et me donna un dessin de Rembrandt. Plus tard il ajouta un Watteau, voilà le commencement. J'ai été fou de joie quand j'ai eu à moi votre dessin de Michel-Ange, qui a été un de mes premiers achats [1880]. ». Il raconte ensuite comment il acheta 12.000 fr., contre les Allemands, le portrait d'Erasme par Dürer dans la vente Gigoux, rappelle son achat du livre de 25 dessins de Fra Bartolommeo aux comtes Ottolini, « qui pendant trois ans se firent tirer l'oreille et me les cédèrent, enfin, à Paris, au moment où ils allaient les vendre au British Museum », puis son achat d'un Raphaël chez la comtesse Alfani, qui demeurait dans la maison d'un marchand de bric-à-brac à Pérouse, etc. Dans ses mêmes Souvenirs V, p. 79, Chennevières nous révèle l'amitié de Bonnat et du vicomte Both de Tauzia, conservateur du Louvre et l'excellent successeur de Reiset. « Tauzia et Bonnat sont voisins, de la rue Jean Goujon à la rue Bassano [c'est là, au n° 48, que M. Bonnat demeure encore en 1921], ils sont constamment sur la route l'un de l'autre. Ces deux natures franches et parlant net étaient faites pour s'entendre ; et quand ils ne se rencontrent pas, Bonnat grimpe lestement les escaliers du Louvre, ne fût-ce que pour voir quelles montures Proust, le monteur des dessins du musée, imagine pour ses Michel-Ange ou ses Léonard ». En parlant de la collection de Bonnat : « Mais qui a aidé Bonnat à ce choix ? qui lui a contrôlé, l'un après l'autre, ces dessins ? qui a, à certains moments, calmé sa fringale, laquelle se serait jetée gloutonnement sur des propositions outrées ou inquiétantes ? qui lui a, le plus souvent, indiqué les bons coins ? qui a appris le chemin de sa maison à des marchands ou à des héritiers de collections étrangères, désireux d'un bon client ? C'est Tauzia, encore Tauzia, Tauzia jamais complaisant aux folles tentations de son ami, et qui le tarabuste à la moindre faiblesse, et met son veto sur ce qu'il juge indigne du noyau déjà formé. Car lui-même y met son plaisir et son orgueil, dans la pureté de cette collection dont il rêve d'écrire le catalogue » (projet malheureusement empêché par la mort de Tauzia). En 1902 Bonnat fit don à sa ville natale, Bayonne, d'une grande partie de sa précieuse collection (voir entre autres G. Gruyer dans la Gaz. d. B.-A. 1903 p. 193, La collection Bonnat au Musée de Bayonne). Il reconnut ainsi magnifiquement l'aide reçue dans sa jeunesse de la part de cette ville. Bien que les dessins, au nombre de 187, en forment la partie principale, le don comprend aussi des tableaux, des objets d'art, des vases antiques, 59 bronzes de Barye, des terres cuites grecques, etc. Parmi les dessins on compte 16 spécimens d'Ingres, 13 de Prud'hon, 14 aquarelles de Barye, des feuilles importantes de Claude et les principaux modernes. Beau choix aussi, bien que modeste en nombre, des écoles du nord, e. a. le portrait de Cornelissen par van Dijck, un portrait d'homme, de 1518 par Dürer, et des œuvres de Rembrandt, puis plusieurs beaux italiens, e. a. la sanguine de Michel-Ange, Adam et Eve, de la collection de Chennevières, et de belles feuilles de Raphaël, Signorelli, D. Ghirlandajo, Pisano, Mantegna, Bellini, de Vinci, etc. Il y ajouta en 1919, lors de son 86me anniversaire, des dessins d'Ingres et de Géricault. Voir encore E. Müntz Dessins inédits de Michel-Ange, dans la Gaz. d. Beaux-Arts 1896 p. 321 et L. Demonts, ibid. 1920 pp. 1-20, sur son Album de dessins de Rembrandt. - La collection de Bonnat ne se borne pas aux dessins ; il possède aussi un choix d'eaux-fortes en superbes épreuves, de beaux tableaux, de remarquables sculptures et autres objets d'art.